Hubert de Givenchy : l’empire du goût


«  Avec le recul, je dirais volontiers que j’ai réalisé deux carrières, celle de couturier et celle d’amateur d’art », confiait Hubert de Givenchy (1927–2018). Celui qui a incarné l’élégance française à travers le monde était aussi un collectionneur averti qui avait hérité de son arrière-grand-père réalisateur de décors pour l’Opéra et de son grand-père administrateur d’une manufacture de tapisserie un goût certain pour l’art et la scénographie. Comme en témoigne la vente aux enchères organisée par Christie’s à partir du 8 juin, proposant des pièces qui ornaient les deux dernières résidences du créateur : l’hôtel d’Orrouer à Paris et le château du Jonchet dans la vallée de la Loire. Et l’inventaire impressionne ! Ce sont plus de 1 200 objets, sculptures, tableaux et mobilier du XVIIe jusqu’au XXe siècle qui seront dispersés.

L’hôtel d’Orrouer, rue de Grenelle, à Paris

L’hôtel d’Orrouer, rue de Grenelle, à Paris

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© Christie’s Images Ltd. / Photo François Halard

À Paris, c’est derrière une porte cochère monumentale de la rue de Grenelle que se dresse le majestueux hôtel d’Orrouer (aujourd’hui nommé hôtel de Bauffremont). Construit en 1732, il fut l’une des résidences emblématiques d’Hubert de Givenchy, séduit par sa magnificence et son architecture tout en symétrie. Dès les années 50, grâce au succès de sa maison de couture, l’esthète passionné acquiert une importante collection de mobilier pour aménager ses propriétés. Son choix se porte sur des chefs-d’œuvre des XVIIe et XVIIIe siècles, comme le bureau de David Roentgen, grand ébéniste allemand de la fin du XVIIIe siècle, doté d’un astucieux mécanisme qui dévoile six tiroirs secrets. Un objet d’un raffinement extrême qui était devenu la table de travail d’Hubert de Givenchy… Les lignes classiques et rigoureuses du mobilier ancien répondent en effet à la recherche de structure et d’équilibre qu’il ambitionne en couture comme en décoration. On dit d’ailleurs qu’il travaillait à la manière d’un architecte, tout comme Cristóbal Balenciaga, son mentor.

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Célèbre pour ses robes aux coupes rigoureuses, le styliste était aussi sensible à l’art abstrait.

À travers cette vente, Christie’s le hisse au rang d’icône du grand goût français, tant grâce à ses choix esthétiques qu’à leur mise en scène. Un de ses talents réside dans le mélange des époques et des styles. Au milieu du mobilier classique de ses résidences, le collectionneur invite ainsi des chef-d’œuvres d’art moderne. Dessinateur lui-même, Givenchy prisait les œuvres sur papier, comme ce grand dessin à la craie de Picasso qui accueille les visiteurs dans le premier salon de la rue de Grenelle et qu’il place au-dessus d’une console de style Directoire et d’une suite de fauteuils Louis XV. Célèbre pour ses robes aux coupes rigoureuses, le styliste était aussi sensible à l’art abstrait : lors de la vente, Le Passage de l’oiseau migrateur de Joan Miró sera proposé pour la première fois sur le marché. Christie’s met également en vente des objets intimes, qui racontent davantage l’homme, comme sa cafetière – en argent – ou même ses peluches…

Hubert de Givenchy chez lui au château du Jonchet

Hubert de Givenchy chez lui au château du Jonchet, août 1977

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© Photo Jean-Régis Roustan / Roger-Viollet

Art et couture sont assemblés, cousus, entremêlés chez Givenchy. Son amour pour les assises – acquises en nombre par le couturier-décorateur – se comprend aisément : le siège était pour lui un formidable support d’expression à travers le choix des étoffes, qu’il sélectionnait avec le même soin que pour ses tailleurs réalisés sur mesure pour Grace Kelly ou Audrey Hepburn. Les cuirs les plus fins de certains sièges ont été rebrodés par les gantiers de la maison Givenchy, comme sur une série de fauteuils d’époque Louis XV dont la garniture de cuir se décline en trois teintes. Même dans le pavillon qu’il aménage dans sa résidence de la rue de Grenelle, quelques années avant son décès, Hubert de Givenchy fait encore référence à son amour des tissus en choisissant d’y accrocher deux importantes toiles de Claudio Bravo, peintre chilien contemporain, qui figurent des rideaux en trompe-l’œil.

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Le salon Empire de l’hôtel d’Orrouer

Le salon Empire de l’hôtel d’Orrouer

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© Christie’s Images Ltd. / Photo François Halard

Aussi se porte-t-il acquéreur du manoir du Jonchet qu’il restaure, rebat, recoud entièrement, comme une robe de haute-couture…

Sur les rideaux, sur les étoffes qui recouvrent les sièges, mais aussi dans les œuvres elles-mêmes, le vert est un véritable leitmotiv. Manifestement une référence à la nature qu’il aimait tant. Et même si son hôtel particulier parisien disposait d’un parc, Hubert de Givenchy aspirait à plus d’espace et de verdure. Aussi se porte-t-il acquéreur dans les années 70 du manoir du Jonchet, situé en Eure-et-loire. Dans cette bâtisse du XVIIe siècle qu’il restaure, rebat, recoud entièrement, comme une robe de haute-couture, il aime se ressourcer. Le terrain d’environ 400 hectares qui entoure le manoir abrite nombre de représentations animalières dont Hubert de Givenchy aime s’entourer. À l’entrée du parc, ce sont les Oiseaux de jardin de François-Xavier Lalanne qui accueillent les visiteurs, tandis qu’un peu plus loin se tient une paire de cerfs sculptée de Janine Janet et cinq sculptures de Diego Giacometti qui immortalisent les compagnons canins du couturier.

Mais le plus spectaculaire se trouve peut-être à l’intérieur du manoir. Braque, Giacometti… Là encore, les œuvres de grands maîtres du XXe siècle s’y croisent. Hubert de Givenchy possédait déjà dans sa résidence parisienne un chef d’œuvre d’Alberto Giacometti, La Femme qui marche [ill. plus haut], qui lui fut offerte par la grande collectionneuse américaine Bunny Mellon. S’il ne connut pas personnellement l’artiste, il était en revanche très proche de son frère, Diego Giacometti, à qui il commanda de nombreuses pièces de mobilier, mais également des objets. Accordant à la décoration le même sens du détail et du raffinement qu’à ses créations de mode, il demanda même à l’artiste de réaliser le heurtoir de la porte d’entrée du Jonchet. Autant d’objets réunis dans une collection estimée à 50 millions d’euros, à admirer du 8 au 15 juin chez Christie’s, dans une scénographie hommage, avant qu’ils ne passent sous le marteau.

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Hubert de Givenchy. Collectionneur

Du 8 juin 2022 au 23 juin 2022

www.christies.com



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