Grégoire Ichou : guide-conférencier et drag queen qui fait chanter les musées


Depuis près de cinq ans, sa voix de ténor résonne au musée de Cluny, au théâtre du Châtelet ou au Panthéon. Rien de plus naturel pour Grégoire Ichou : entré dans un chœur à l’âge de dix ans, il a étudié l’histoire de l’art, la musicologie et la médiation culturelle, avant de décrocher une licence de guide-conférencier. C’est à ce moment que s’est formé, dans un coin de sa tête, l’idée de mener un jour des « visites chantées » dans des monuments historiques et des institutions culturelles. Le principe ? En raconter l’histoire, en s’appuyant sur des airs classiques et modernes qu’il interprète lui-même.

Grégoire Ichou en visite chantée au théâtre du Châtelet

Grégoire Ichou en visite chantée au théâtre du Châtelet

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Mais il y a un an, le jeune homme de 33 ans découvre une autre façon de conjuguer ses passions pour l’art et pour la musique : la pratique du drag. Il s’y initie alors avec une triple ambition : interroger les genres masculin et féminin, explorer les frontières entre culture populaire, subculture et culture dite légitime — soit admise par les élites de l’opéra ou de l’histoire de l’art —, et brouiller les cartes entre réalité et fiction. Le tout, en se créant un personnage.

Élysée Moon, alias Grégoire Ichou

Élysée Moon, alias Grégoire Ichou

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© Photo Nathan Sélighini

Ce personnage, c’est Élysée Moon. Dans son ensemble, ce nom de scène fait écho à l’humoriste Élie Semoun. « Je lui ressemblais, ado. Sa mère est née dans la même ville que mon père, Tlemcen, en Algérie. Et cela m’amusait que mon nom de drag évoque celui d’un homme ». Pour casser les codes, encore une fois… « Élysée », en tant que lieu de pouvoir, rappelle la portée politique du drag, qui est une pratique engagée. Dans la mythologie grecque, c’est là que les héros reposent après leur trépas. Enfin, « Moon », qui signifie lune en anglais, renvoie à la figure poétique de Pierrot et au grand-père maternel de Grégoire Ichou, l’astrophysicien René Bernas, premier scientifique à avoir eu entre les mains un échantillon lunaire !

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Les couleurs du paon

Le drag est un art qui commence par le choix d’un maquillage signature. « C’est Elips, l’une des drags les plus arty du milieu, révélée dans la saison 1 de Drag Race [série TV française à succès inspirée de l’émission américaine RuPaul’s Drag Race, NDLR], qui m’a aidé à trouver le mien. Je voulais des sourcils asymétriques, et nous avons eu ensemble l’idée de cette forme en zigzag, en éclair, du côté gauche. » Au début, le chanteur-médiateur pavoisait aux couleurs du paon. « Emblème de la communauté LGBT, la licorne est une créature imaginaire, or je souhaitais être associé à un animal qui crée la surprise mais qui existe. » Ainsi naît Élysée Moon, d’abord sous l’objectif de Mathieu Ichou, le frère photographe de Grégoire.

« J’étais déjà fasciné par Michel Journiac et Cindy Sherman. »

Il faut dire que le travestissement s’inscrit dans une longue tradition artistique. « J’étais déjà fasciné par Michel Journiac et Cindy Sherman. Certains publics, qui acceptent tout à fait leurs photographies dans un cadre muséal ou que Chérubin soit joué par une femme dans Les Noces de Figaro, peuvent malgré tout juger le drag choquant », précise Ichou. « Pour ma part, je tenais à aller au-delà du realness, qui consiste à vouloir à tout prix ressembler à une femme. » Hommes, femmes, cisgenres, transgenres, tout le monde peut se créer un personnage, soit masculin (drag king) soit féminin (drag queen) ou encore non binaire (drag queer).

Grégoire Ichou au Château du Maisons

Grégoire Ichou au Château du Maisons

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« Ma spécialité — nous sommes très peu dans ce cas — est de chanter en live et du lyrique. »

Parce qu’une drag ne « performe » pas nécessairement, Grégoire Ichou n’envisageait pas à l’origine de se produire sur scène sous les traits de son double. L’opportunité de ce faire s’est présentée alors qu’il préparait Achevons la métamorphose avec le harpiste Vincent Buffin dans le cadre d’une résidence soutenue par Beaux Arts Consulting [activité du groupe Beaux Arts & Cie, éditeur de Beaux Arts Magazine]. Le spectacle, qui remonte au 9 février dernier, a reçu un accueil favorable du public et de la critique. « La pratique la plus répandue dans l’univers du drag est le lip sync [ou playback, NDLR]. Ma spécialité — nous sommes très peu dans ce cas — est de chanter en live et du lyrique. » Et la jeune Élysée Moon de remonter récemment sur scène, à l’occasion du SLAP – Festival du livre queer, à Montreuil : « Il y avait des rires dans la salle ; ce qui n’est pas une réaction habituelle. À l’opéra, le public s’abstient, au contraire, de s’exprimer. C’est comme si, dans un cadre populaire, le morceau retrouvait tout son sens, une véritable écoute. »

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À présent, l’objectif est clair : amener le lyrique dans les bars et le drag dans les institutions culturelles. « L’Opéra-Comique est venu me chercher, en sachant pertinemment que je faisais du drag. » Résultat : ce 21 avril, Élysée Moon propose une initiation à Carmen de Georges Bizet devant un groupe de 18–25 ans. « Les jeunes doivent deviner à quels personnages correspondent les airs que j’interprète. J’en profiterai également pour aborder la question du genre et du travestissement, ancrée dans l’histoire de l’opéra. Par exemple, l’Opéra-Comique n’abrite que des bustes de compositeurs, alors que d’illustres compositrices ont marqué l’histoire du lieu. En France, les orchestres demeurent majoritairement dirigés par des hommes… » La prochaine étape pour Grégoire Ichou serait de mener l’une de ses « visites chantées » en drag. À bon entendeur…

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