Galveston (Canal+) : Mélanie Laurent raconte son expérience américaine – Actus Ciné


Après trois longs métrages et un documentaire, Mélanie Laurent a traversé l’Atlantique pour mettre en scène “Galveston”, polar avec Elle Fanning et Ben Foster diffusé sur Canal+ dont elle nous avait parlé au Festival du Cinéma Américan de Deauville.

Quand Mélanie Laurent rencontre le papa de True Detective ! Après trois longs métrages et le documentaire Demain, qui lui a valu un César en 2016, l’actrice dirige son premier film américain : Galveston, d’après un roman de Nic Pizzolatto. Une adaptation qui n’a pas posé de problème dans la mesure où elle n’a jamais rencontré l’auteur : “Il n’est jamais venu sur le plateau et nous ne nous sommes jamais vus. Mais c’est un scénario qui tournait depuis un certain temps”, nous expliquait la réalisatrice au Festival de Deauville 2018, où ce polar emmené par Elle Fanning et Ben Foster, aujourd’hui diffusé sur Canal+, avait été présenté en avant-première.

AlloCiné : De tous les projets américains qui vous ont été proposés, pourquoi est-ce vers celui-ci que vous êtes allée ?
Mélanie Laurent : Parce que Respire est sorti aux États-Unis et que j’ai changé d’agent à ce moment-là. Je me suis alors rendu compte qu’en changeant d’agent, on pouvait changer de vie, ce que je ne savais pas avant et que j’ai mis quinze ans à comprendre. À partir de là j’ai reçu beaucoup de films et, pendant longtemps, on m’a proposé ou des choses dans le même esprit que Respire, des films sur la jeunesse, des films de lycée, des histoires homosexuelles entre deux femmes ; ou alors des trucs énormes, que je ne me sentais pas capable de faire. Pas une seule seconde. Des films de guerre, d’époque… Je lisais des choses très belles mais je ne me sentais pas du tout les épaules donc je refermais le scénario et je les appelais en leur demandant pardon car je ne voyais pas comment filmer ce qu’ils me proposaient.

C’est la première fois que je réalise un film que je n’ai pas écrit : même si je l’ai beaucoup ré-écrit, c’est un vrai film de commande. Et je ne sais pas pourquoi, tellement c’est l’opposé de mon cinéma, mais j’ai lu le scénario et j’ai tout vu : j’ai vu Elle Fanning, dans cette voiture, ce que je voulais rajouter, ce que je voulais changer… Le scénario était vraiment sur [le personnage joué par Ben Foster], avec beaucoup plus de scènes de méchants, des allers-retours sur eux tout le temps, mais je n’ai vu qu’elle. De là j’ai commencé à voir des décors, ce que je pouvais peut-être en faire, fantasmer des choses. C’est d’un coup devenu assez évident, alors que sur le papier ça ne l’était tellement pas. Je crois que c’est une histoire d’instinct, de ressenti et de première vision.

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En privilégiant le personnage d’Elle Fanning à l’intrigue policière vous avez finalement inscrit “Galveston” dans votre filmographie en abordant, comme dans “Respire”, le thème de la jeunesse.
C’est vrai même si nous étions sur un récit en France avec une histoire d’amitié passionnelle toxique. Là on est sur une jeune fille qui se prostitue pour survivre et se retrouve avec un tueur à traverser le Texas avec sa petite soeur, en essayant de survivre à la violence du monde. Au final on est assez loin de ce que je fais (rires) Mais oui, il y avait une jeune fille qui me faisait penser à Joséphine Japy. Elle Fanning est l’une des rares actrices américaines qui arrive à jouer un cinéma de vérité. Elle est d’un naturel… C’est tout ce que j’aime, donc il y a une filiation avec mon cinéma à travers ces beautés, ces personnages et même ces actrices et ces êtres humains.

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Elle Fanning en cavale dans “Galveston”

Vous parliez des images qui vous sont venues en tête à la lecture du scénario, et l’aspect esthétique est l’une des forces du film. Aviez-vous des références particulières sur ce plan ?
On a toujours Crewdson [photographe américain qui a mis en scène l’envers du rêve américain, ndlr] quand on sait que l’on va tourner dans un vieux motel. Après j’ai imposé mon chef opérateur français [Arnaud Potier, ndlr] pour faire ce film. J’avais comme ma famille avec moi car c’était la seule personne que je connaissais, et on a su se faire plaisir : on habitait dans une maison dont les murs étaient recouverts de photos. Nous avions plein de références de ce que nous voulions et nous avons essayé, à partir des photos, de trouver une image forte par séquence, de la mettre sur un mur, de prendre du recul, de faire des agrandissements.

En France nous avons deux mois de préparation, là nous avons eu dix jours. Et normalement trente-cinq jours de tournage contre vingt-trois ici. Donc il nous fallait aller à l’essentiel et c’était beaucoup plus instinctif que d’habitude : quand on a le temps, on peut intellectualiser chaque mouvement de caméra. Là nous étions tout le temps dans l’urgence, ce qui force à aller à l’essentiel. Mais nous avions déjà des images en tête : en général, chacun apporte cinq grands livres de photos, on va aller dénicher tout ce que l’on aime, puis on parle ce qu’on va faire en lumière.

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Et pour ce film, nous avions acheté une voiture et des petits personnages, avec lesquels nous avons tout travaillé comme ça, avec nos mains pour faire les angles de caméra. Car le challenge était aussi d’être beaucoup en voiture mais de ne jamais filmer pareil, de ne pas se lasser avec tous ces plans. Bref, comment faire lorsque l’on a peu de temps et d’argent pour donner l’impression qu’on en avait un peu quand même (rires) On a aussi appris à faire des plans un peu larges, à nous octroyer le droit de faire un plan-séquence de sept minutes…

Votre expérience sur le documentaire “Demain” vous a-t-elle aidée pour tourner dans l’urgence ?
Non car on ne m’a jamais donné beaucoup d’argent sur mes films non plus. Et puis ça n’est pas pareil : le docu c’était une expérience très très différente visuellement. Mais peut-être que je n’aurais pas réussi à faire ce qu’on a fait là, en dix jours, avec un autre chef opérateur. Il faut très bien connaître son chef op’, savoir ce que l’on aime et avoir les mêmes envies, les mêmes fantasmes. Je n’avais pas le temps de rencontrer quelqu’un que je ne connaissais pas.

Aucun réalisateur européen ne dira qu’il est agréable qu’un producteur rentre et te dise ce qu’on va faire quand, profondément, intriséquement, tu sais que ce n’est pas ce qu’il faut faire

Beaucoup de réalisateurs français ont fait part de leur expérience négative aux États-Unis, à l’image de Guillaume Canet sur “Blood Ties” ou de metteurs en scène de films de genre. Est-ce quelque chose qui vous inquiétait ? Avez-vous parlé avec des personnes qui ont vécu ces expériences ?
J’avais lu qu’il y avait très peu de bons débriefs, oui. Moi j’ai vécu un rêve pendant très longtemps, puis un moment difficile sur le final cut, mais je pense qu’aucun réalisateur européen ne dira qu’il est agréable qu’un producteur rentre et te dise ce qu’on va faire quand, profondément, intriséquement, tu sais que ce n’est pas ce qu’il faut faire. Il y a eu ce moment très violent mais j’ai ré-enlevé tout, donc au final…

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J’en suis sortie fatiguée. Mais je ne sais pas si c’est obligatoire de vivre ça. Quand c’est vécu ainsi, je pense que c’est aussi parce qu’il y a l’excitation du premier projet américain, la première envie, le premier fantasme. On se retrouve là-bas sans avoir le temps de rencontrer les gens, on ne sait pas comment ils vont travailler et on est très très français dans un pays très très américain, donc ça créé un choc des cultures. Parce que je savais tout ça, j’ai demandé que l’on m’explique toutes les règles du jeu : je savais que si je dépassais d’une minute, on allait couper mon plan en plein milieu par exemple. Tout ça, je ne l’ai pas vécu car, comme j’étais au courant, je ne me suis jamais retrouvée dans la situation où j’ai été choquée par l’absurdité de ces lois américaines qui vous plombent au moment précis de la journée où vous voulez tourner.

Le tournage était donc fatigant, car ce sont quatorze heures par jour au lieu de huit pour nous. Et en anglais. Mais à part ça, c’était une énorme joie et un énorme bonheur de tourner avec ces deux acteurs-là. Et je me suis très bien entendue avec mon producteur pendant toute la création, soit la partie la plus importante et la plus intéressante. C’est après que nous avons débattu et commencé à ne pas être d’accord sur la pure fabrication du montage. Mais je me dis que je peux peut-être trouver un producteur américain qui aura l’envie de mieux me connaître, et réciproquement, et je suis persuadée que des expériences américaines et françaises peuvent merveilleusement bien se passer. De mon côté, ça a été merveilleux très longtemps et j’ai pris tout ça (rires) Le moment où ça se passait bien.

Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Deauville le 1er septembre 2018



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