« Frida. Viva la vida » : un docu pas comme les autres


1. Il fait appel à nos émotions

D’emblée, la voix de Frida résonne, exprimant de sombres craintes : les médecins pensent devoir l’amputer d’une jambe. Mots terribles que des images d’archives accompagnent d’un électrochoc visuel : une femme sursautant sur une table d’opération, réveillée par une incision dans sa chair… Dès son ouverture, le film plonge le spectateur dans une ambiance intense et des émotions fortes, au pic de la souffrance de Frida. Une douleur extrême qui a innervé toute l’œuvre de l’artiste depuis son terrible accident de bus survenu alors qu’elle n’avait que dix-huit ans, laissant sa colonne vertébrale brisée et sa cavité pelvienne transpercée par une barre de fer. « Si vous avez fait l’expérience de la douleur physique dans votre vie, vous savez qu’elle n’a rien de romantique. La souffrance est répugnante. » Face caméra, et d’une façon peu commune pour un documentaire, l’actrice Asia Argento s’adresse directement au spectateur, l’invitant à un parcours hypersensible dans la peau de l’artiste…

Bernard Silberstein, Frida Kahlo

Bernard Silberstein, Frida Kahlo, vers 1940

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Coll. Cincinnati Art Museum • © Edward B. Silberstein

2. Il opte pour une approche intime

Profondément autobiographiques, les tableaux de Frida Kahlo nous immergent dans les tréfonds de son esprit et de sa chair. Sa vie, sa souffrance et son caractère passionné s’imposent donc à la fois comme le terreau de son art, et les clés permettant de le comprendre ! Fort de ce constat, le film se présente comme un plaidoyer en faveur d’une approche intime de l’artiste et de son œuvre, basée sur une analyse de sa vie de femme, de ses écrits et de ses objets personnels. Dès les premières minutes, Hilda Trujillo Soto, directrice du musée Frida-Kahlo installé à Mexico dans la Casa Azul (la mythique « maison bleue » qui fut le lieu de naissance et de résidence de l’artiste), raconte ce qu’elle a ressenti au début des années 2000 en exhumant les affaires de Frida, qui étaient restées cachées dans des tiroirs et des malles pendant cinquante ans. À travers ces objets, dit-elle, on « comprend ce qu’aucun livre ne peut nous enseigner » : on perçoit la femme « bohème » et « joyeuse » qu’était Frida, son fort caractère, son profond désir de profiter de la vie coûte que coûte… Qualités qui lui ont permis de « transformer sa douleur en œuvres d’art » !

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Extrait de « Frida. Viva la vida »

Extrait de « Frida. Viva la vida »

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Droits réservés © Barts and Nexo Digital, 2019

3. Il redonne vie à Frida

Respiration, battements de cœur… Pour rendre l’artiste bien présente, le bruitage s’associe à deux voix féminines qui nous la font entendre. L’une, en espagnol, lit des extraits de ses lettres, journaux intimes, poèmes et autres écrits personnels ; l’autre, en anglais – celle d’Asia Argento, dont la tonalité si grave et si particulière ajoute encore de la texture au film – narre son histoire avec intensité. Dans des séquences symboliques, Frida est incarnée par deux jeunes Mexicaines vêtues d’une simple robe de nuit blanche – un dédoublement inspiré de son tableau Les Deux Frida (1939). L’une, enfermée à la maison, immobile, représente la femme, piégée dans sa souffrance, victime de son corps douloureux et d’une relation tourmentée. L’autre, qui court et danse pieds nus à l’extérieur, représente l’artiste, libre et révolutionnaire, débordant de passion et d’énergie vitale…

Frida Kahlo, Les Deux Fridas

Frida Kahlo, Les Deux Fridas, 1939

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175 × 175.5 cm • Coll. musée d’art moderne de Mexico • Adagp, Paris

4. Il sonde le cerveau de l’artiste

Sa rencontre avec le fresquiste Diego Rivera, ses fausses couches, son séjour à Détroit, son divorce et son remariage, la venue de Trotski… Si des étapes importantes du parcours de Frida sont évoquées, le film se présente moins comme un récit linéaire et exhaustif de sa vie que comme une tentative de brosser son portrait psychologique. Qui était la femme qui a donné naissance à l’artiste ? Comment a-t-elle transformé sa douleur en art ? Appuyée par l’analyse de ses tableaux les plus célèbres, cette approche donne lieu à une exploration intéressante du thème de la dualité et de la confrontation des contraires dans l’œuvre de Frida : corps et esprit, impuissance et liberté, force et fragilité, froideur industrielle de la société nord-américaine et brûlante authenticité des traditions mexicaines… La civilisation précolombienne, qui la passionne et abreuve sa peinture, étant elle-même un lieu de cohabitation des extrêmes : ténèbres et lumière, célébration et sacrifice, vie et mort…

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Guillermo Kahlo, Frida Kahlo

Guillermo Kahlo, Frida Kahlo, 1932

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5. Il privilégie des points de vue subjectifs

Pour mieux nous embarquer dans ce périple intime, le film met en avant un nombre réduit d’intervenants, et principalement trois femmes qui ont chacune un lien fort avec Frida et nous livrent leur ressenti personnel sur elle : la photographe Cristina Kahlo, sa petite-nièce ; la directrice du musée, gardienne de ses effets ; et enfin la photographe Graciela Iturbide, qui en 2004 a documenté, à travers une série de clichés en noir et blanc, la réouverture de la salle de bains de la Casa Azul, verrouillée par Diego Rivera à la mort de Frida en 1954. Avec son œil si singulier, c’est elle qui a immortalisé les nombreux secrets qu’elle contenait – corsets, affiches politiques, médicaments, béquilles, jambes orthopédiques… – en les abordant un à un avec poésie, tels des reliques…

Frida Kahlo, La Colonne brisée

Frida Kahlo, La Colonne brisée, 1944

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Huile sur masonite • 33 × 43 cm • Coll. Museo Dolores Olmedo Patino, Mexico • Adagp, Paris

6. Il flirte avec le film d’art

Malgré la présence d’images d’archives, de commentaires d’experts et de plans tournés sur les lieux de vie de l’artiste, le film ressemble davantage à une œuvre d’art vidéo qu’à un documentaire. Au son d’une musique électronique entraînante composée par Remo Anzovino, le montage, rapide et créatif, évoque à plusieurs reprises les cadavres exquis et les collages surréalistes. En accord avec l’esprit foisonnant de Frida, photographies, extraits de dessins animés et tableaux se succèdent avec énergie, humour et une pointe d’étrangeté. Lorsque l’artiste raconte le premier mariage de son père, Mickey Mouse apparaît en train de jouer une sérénade à Minnie, coiffé d’un chapeau mexicain – un choix audacieux pour évoquer la vie d’une communiste antiaméricaine ! Une bouche criant dans le noir, une rose rouge volant en éclats comme si elle était faite de verre… Créés spécialement pour le film, dessins, lettrages et animations d’esprit cartoon ou surréaliste s’allient à des plans symboliques : une jeune femme courant dans un tunnel, dansant pieds nus dans le désert ou allongée, pensive, au pied d’étranges racines… Ou comment éclairer l’art par l’art !

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Frida. Viva la vida

Un film de Giovanni Troilo

Au cinéma le 24 novembre • 2019 • 1 h 30 • Distribution Eurozoom



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