Est-ce que le numérique améliore l’apprentissage scolaire ?


Les illusions de la révolution numérique à l’école

Les ambitions de l’Education Nationale

Comme l’ensemble de la fonction publique aujourd’hui, l’Education nationale vit son lot de difficultés. Parmi elles, un niveau scolaire en déclin depuis des années et la reproduction des inégalités sociales dans les classes. Un comble pour la République qui a fait de l’école la voie royale de l’ascension sociale.

Pour y remédier, l’Etat s’est lancé dans la révolution numérique de l’enseignement. Avec pour ambition la volonté de redresser l’école en la rendant, en bonus, plus attractive et joyeuse pour les élèves.

Leur attraction naturelle pour une tablette les rendrait plus aptes à étudier et comblerait les difficultés des élèves dès le collège.

Ambition louable ou incertaine ?

Les premiers pas décevants de l’école numérique 

En 2013, le rapport IGEN intitulé « Le Plan Ordicollège dans le département de la Corrèze » a fait part d’un bilan contrasté sur les usages pédagogiques d’Ipad mis à disposition des collégiens en 2010. Bilan contrasté, ou tout simplement mauvais.

Non seulement, il n’est pas fait la moindre mention des résultats scolaires dans le rapport, mais le plan Ordicollège a aussi pris fin brutalement en 2015. L’échec du plan corrézien n’a sans doute pas été une surprise pour le ministère.

Selon le même rapport d’IGEN de 2013, « la révolution numérique est une chance pour l’école pour que les nouveaux outils offrent un potentiel de renouveau pédagogique important, pouvant améliorer l’efficacité et l’équité du système éducatif. Elle est aussi un défi parce que le développement rapide des usages numériques oblige notamment à repenser les méthodes et programmes d’enseignement, produire de nouvelles ressources, rénover les codes d’évaluation, revoir l’organisation des espaces et des temps scolaires ».

Ce que l’on comprend de cet extrait, c’est que l’école numérique est donc bien une révolution puisqu’elle demande de revoir l’intégralité de la structure et du système scolaires.

Mais contrairement à l’argument gouvernemental exposé, le système ancien n’est pas que le seul motif à cet échec.

Le numérique n’a peut-être tout simplement pas sa place dans les classes d’école.

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Cette suggestion est la thèse de la « Critique de l’école numérique », qui regroupe des exposés, articles et interviews d’enseignants, d’intellectuels et de médecins venus de France, de Belgique, d’Italie et des Etats-Unis.

L’ambition numérique ne se limite en effet pas à nos frontières, elle est occidentale, voire mondiale.

Quelles sont les failles du numérique pour la lecture et l’apprentissage

La lecture sur papier vs la lecture sur écran 

Selon une étude européenne réalisée par 200 chercheurs européens « Evolution of Reading in the Age of Digitisation » qui condense 54 études impliquant au total 170 000 participants, la compréhension d’un long texte est meilleure sur le papier que sur l’écran.

Par ailleurs, lors de la lecture sur écran, la mémoire spatiale (la faculté à retrouver l’endroit d’une information dans le texte) du texte est perdue. Et selon les expériences du chercheur en psychologie Thierry Baccino, la lecture d’un texte sur Internet est moins rapide que celle sur papier. En cause, l’apparition de publicités ou d’hyperliens sur l’écran qui saturent le cerveau d’information.

Par ailleurs, selon les travaux de H. Tan sur le sujet, apprendre à lire grâce à une application désavantage les enfants, dans le sens où ils retiennent moins bien les lettres.

Pour l’apprentissage de l’écriture, c’est le même constat, selon la chercheuse en neuroscience cognitive à l’Université Aix-Marseillais, M. Longcamp. Les enfants qui apprennent à écrire sur ordinateur avec un clavier ont beaucoup plus de mal à reconnaître l’alphabet que ceux munis d’un stylo et d’une feuille.

Conclusion ? Demander de lire un texte sur internet impose aux élèves un travail plus difficile que sur papier.

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Se noyer dans Internet

Franck Amadieu et André Tricot (professeurs d’université en psychologie), membres du laboratoire Cognition Langues Langages Ergonomie, ont révélé le paradoxe de l’abondance des ressources en ligne : « Quand on ne sait rien d’un domaine, on n’éprouve pas d’incertitudes, on ne se pose pas de question. »

L’incertitude vient avec la compétence, et avec l’incertitude vient la capacité à se poser les bonnes questions ou d’avoir de l’esprit critique .

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Sans connaissance de base, ou sans questions précises (ex : en quelle année est né Hugues Capet ? Qui était sa femme ? etc…) il est difficile pour un élève de faire des recherches pertinentes. Sans repère, il se noit dans l’infinie des informations. Ce qui génère une angoisse.

L’échappatoire des élèves est bien souvent le même : recourir à Wikipédia (sans savoir que les sources ne sont pas forcément sûres), ou faire un copier-coller des extraits d’informations superficielles sans lire le fond des documents.

Internet étant une source trop vaste, potentiellement dangereuse, et trop accessible aux élèves, une loi interdit en France depuis la rentrée scolaire 2019 l’utilisation de téléphone portable et et de tout autre équipement terminal de communications électroniques (tablette ou montre connectée, par exemple) dans l’enceinte des écoles et des collèges. La loi permet également au conseil d’administration des lycées d’introduire, dans le règlement intérieur, l’interdiction de l’utilisation par les lycéens de ces appareils.

 Les bénéfices d’interdire le portable dans les établissements scolaires

Au regard d’une étude anglaise, les élèves se concentrent mieux en classe et on note également des améliorations dans leur performance scolaire, notamment pour les élèves les plus en difficulté.

En 2015, des chercheurs de la London School of Economics et Political Science ont étudié un groupe de plus 130 000 élèves de 91 écoles sur les répercussions de l’interdiction des portables dans leur établissement. Ils ont pu en conclure que l’interdiction conduisait à une amélioration des résultats scolaires de 6,41 %, chez 14, 23 %  des élèves les plus en difficulté. Par ailleurs, ils ont pu noter que plus les élèves passaient du temps en cours sans leur portable, plus leurs progrès étaient significatifs.

Au-delà des murs de l’établissement, et dans la même veine, les données PISA récoltées dans 32 pays auprès de 250 000 ados de 15 ans ont relevé qu’un ordinateur installé dans la chambre contribue à faire baisser les résultats scolaires.

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Pourquoi une vidéo ne remplacera jamais un enseignant ?

Georgene Troseth, professeur en sciences cognitives à l’université de l’Illinois fait état de nombreuses études expérimentales démontrant que l’enfant apprend, comprend, utilise et retient mieux les informations lorsque celles-ci sont délivrées par un humain plutôt que par une vidéo de ce même humain.

En ce sens, les robots ne sont pas près de remplacer l’homme . Et, cela, les étudiants l’on bien compris.

David Noble, figure majeure de l’étude critique des technologies, rapporte une anecdote à propos de deux prestigieuses universités américaines. A l’UCLA, les étudiants ont rejeté la proposition de l’Instruction national Enhancement Initiative d’avoir des cours en ligne à la carte.

La même offre numérique a été proposée à leurs camarades de l’université de British Columbia, qui l’ont rejeté à plus de 80 %, en exprimant clairement leur désir d’avoir un enseignant dans une salle de cours. Et non une cyberconférence chez eux.

Conclusion ?

Les étudiants nous rappellent une juste vérité : transmettre un savoir n’est pas faire un exposé ou une conférence. Il y a un échange. Cet échange, d’ailleurs, est l’essence de l’excellence pédagogique.

C’est grâce à l’échange que l’on peut développer son sens critique, et se poser des bonnes questions. Sans cela, on se contente d’avaler, d’acheter, de croire en tout ce que le marketing nous offre.

Toutes les études sur le sujet de l’apprentissage scolaire mènent à la même conclusion : la plus-value d’un enseignement repose essentiellement sur la qualité de l’enseignant. Ce qui implique de le former, et de le valoriser comme il se doit.

Forcément, la qualité a un coût, qui s’avère être beaucoup plus important qu’un contenu en ligne qui coûte juste son coup de production.

Quand on pense profit, les qualités de l’éducation digitale sautent aux yeux. C’est ce qui explique que nous n’en n’avons pas fini d’en entendre parler.

Sources : « Critiques de l’école numérique », coordonnée par Cédric Biagini, Christophe Cailleaux et François Jarrige.





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