Éric Zemmour s’élance vers la présidentielle sur un air de Beethoven


DÉCRYPTAGE – Le deuxième mouvement de la septième symphonie est sans doute l’un des plus connus. Beaucoup utilisée au cinéma et dans la publicité, son histoire est liée à la défaite de Napoléon.

Et l’allegretto de la septième symphonie de Ludwig van Beethoven s’éleva, au fil de la déclaration officielle d’Éric Zemmour. À trop gros volume ont déploré certains internautes sur Twitter.

Entre l’obscurité de cette œuvre, le micro vintage façon BBC, type Blue Baby Bottle (avec «un look atypique mais sans grand intérêt audio» pour un spécialiste) et le ton grave du polémiste, d’aucun y verront un hommage au Général de Gaulle et à l’Appel du 18 juin.

D’autres ont été saisis par la similitude entre le nouveau candidat à la présidentielle et le roi George VI, incarné par Colin Firth dans Le Discours d’un roi de Tom Hooper, où l’air du compositeur allemand rythme le discours du souverain britannique.

Le monarque, affectueusement surnommé «Bertie», souffrait d’un bégaiement caricatural. À force de travail acharné, il n’eut cependant pas à rougir de son annonce radiophonique du 3 septembre 1939, jour de l’entrée en guerre du Royaume-Uni. Une victoire d’un homme sur le destin…

La septième symphonie de Beethoven a souvent été utilisée au cinéma. Dès les années 30 avec Le Chat noir d’Edgar George Ulmer. Faut-il y voir un mauvais présage ? On la retrouve aussi dans le documentaire de Luc Jacquet, La Marche de l’empereur, mais aussi dans Adieu au langage de Jean-Luc Godard ou dans Irréversible de Gaspard Noé ! Beethoven dont la neuvième, faut-il le rappeler, avait aussi servi de bande originale à Orange mécanique de Stanley Kubrick. Neuvième qui est aussi l’hymne à la joie et celui d’une Europe que le désormais candidat à la présidentielle ne porte pas dans son cœur.

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Dans la publicité aussi, la septième est un vrai «tube». Un coucher de soleil, un cercueil, des fleurs et une voix grave. En 2011, le mouvement choisi par Éric Zemmour a été notamment utilisé par Roc-Eclerc, l’enseigne de Pompes funèbres !

L’allegretto choisi par Éric Zemmour est le deuxième des quatre mouvements de la septième symphonie. Si cette composition a été créée le 8 décembre 1813, lors d’un concert de charité patriotique donné pour les soldats blessés lors de la bataille de Hanau, ce mouvement a été esquissé par Beethoven en 1806, alors que l’armée napoléonienne envahissait les plaines de Prusse et que l’Autriche subissait le joug français depuis un an. «Certes, la détestation de l’Empereur Napoléon Ier, la soif de liberté, l’épuisement de l’Autriche sous le joug de l’occupant sont l’une des explications possibles de l’énergie conquérante qui parcourt la Symphonie n°7. On pourrait y ajouter en reprenant la biographie du musicien, la déception que lui causa sa rupture avec la comtesse Thérèse de Brunswick, suivie de l’amitié amoureuse qu’il connut avec Bettina Brentano», explique Stéphane Friédérich sur le site de Radio classique.

L’allegretto est assez paradoxal, car le tempo généralement retenu en fait une marche lente et lugubre. Funèbre, estiment certains. Certains contemporains préfèrent appeler andante («allant» en italien) à cet air dont Richard Wagner pensait qu’il représentait «l’apothéose de la danse». Gustav Mahler avait, lui, un autre avis sur cette symphonie qu’il jugeait martiale, inquiétante même : «Quand j’en ai terminé avec le final, j’ai l’impression d’être un écolier qu’on a puni bien qu’il n’ait rien fait de mal…»

Mais l’écrivain et homme de radio Alain Duault, spécialiste de musique classique, rappelle que la rupture entre Napoléon Bonaparte et le compositeur – ce dernier était un fervent admirateur du militaire – a été consommée avec la Symphonie n°3 qu’il biffe d’une dédicace «au souvenir d’un grand homme». D’autant que «cet allegretto est utilisé à toutes les sauces», comme en 1971 lors de la cérémonie d’hommage aux athlètes israéliens massacrés lors des Jeux Olympiques de Munich par le groupe terroriste Septembre noir.

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«Sur un tempo lent, il apparaît comme une marche funèbre. Mais Beethoven l’a écrit andante donc allant, allègre, rappelle l’expert. Qu’un personnage comme Zemmour l’utilise de façon mortifère cela ne m’étonne pas outre mesure. C’est une musique qui est utilisée souvent en contre-sens par rapport à la vérité de Beethoven, qui l’a pensée comme une “apothéose de la danse”. Quand on l’utilise comme un requiem, c’est à côté de la plaque», s’amuse-t-il.

Ce tempo s’est imposé à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, alors que la taille des orchestres grossissait. Le mouvement romantisme a également contribué à cette interprétation «trop lente», explique encore Alain Duault. Mais, depuis la seconde partie du XXe siècle, un retour aux sources est opéré, dans quelque composition que ce soit. «Il y a une volonté de se débarrasser des interprétations romantiques et de retrouver la vérité sonore. Aujourd’hui, dans la cuisine, on revient à des cuissons plus légères mais on a longtemps usé de sauces qui alourdissaient les plats. C’est la même chose dans la musique, on revient à quelque chose de plus léger. Nous sommes plus dans le nerfs, dans un rythme plus anguleux et tranché, dans une réalité plus épurée. L’allegretto utilisé par Zemmour est une version plus romantique. dans un grandiose un peu boursouffler. Cette boursoufflure va bien avec un discours prophétique et l’annonce de la fin des temps. Il y a quelque chose de fascinant et d’obsessionnel dans ce air et cette obsession favorise l’imagination.»



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