Ép. 5 Calder, Miró, Rodin… dans les ruines du World Trade Center


Le ciel comme unique horizon : avec sa longue baie vitrée, ce 92e étage est-il le plus bel atelier du monde ? C’est un bonheur quotidien pour Michael de se mettre à l’ouvrage depuis qu’il a obtenu cette résidence d’artiste. En cette fin d’été, il a le studio pour lui tout seul, ses camarades n’étant pas rentrés de vacances… Une chance ? Cet horizon, le sculpteur ne le quittera jamais plus. À 8h46, un Boeing 767 percute la tour nord, quelques mètres au-dessus de sa tête. Il s’appelait Michael Richards (1963–2001), il est l’une des 2 977 victimes des attentats terroristes du 11 septembre 2001.

Un parc de sculptures sur la Plaza

Vue aérienne des Twin Towers

Vue aérienne des Twin Towers, mars 2001, New York

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Avec leurs 110 étages, les Twin Towers étaient les clochers de New York et l’orgueil de l’Amérique. Depuis son inauguration en 1973, le World Trade Center rassemblait les plus grandes entreprises, banques et compagnies d’assurance du pays. Un symbole qui est devenu la cible que l’on connaît. Il n’est pas besoin de revenir sur le plus grand choc du début du XXIe siècle : à 9h58 et 10h28, les deux tours s’effondrent après le détournement des vols AA11 et UA175, des collisions et des incendies incontrôlables.

La disparition des gratte-ciels de l’architecte Minoru Yamasaki est en soi une grande perte patrimoniale. Mais ce sont aussi des centaines d’œuvres d’art que le fanatisme islamiste a réduit en poussières. S’inspirant de la politique mise en place en France dans la reconstruction, 1 % du budget de construction avait en effet été dédié à la commande de créations contemporaines. La Plaza est un véritable parc de sculptures urbain et avec l’effondrement des tours sont soufflées les œuvres monumentales d’Alexander Calder, de Masayuki Nagare, de James Rosati et d’Elyn Zimmerman. Ironie de l’histoire, la fontaine de cette dernière était un mémorial aux victimes d’un précédent attentat qui avait frappé les tours en 1993. Seule la Sphere de Fritz Koenig (1971) [ill. en Une] surnage, dressée au-dessus des décombres, mais elle est sévèrement cabossée et on la croit irrécupérable.

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Parmi les trésors perdus, la Grande Tapisserie du World Trade Center (1974) de Joan Miró.

L’art bouillonnait aussi à l’intérieur, dans les 330 hectares de bureaux abondamment décorés. Parmi les trésors perdus, la Grande Tapisserie du World Trade Center (1974) de Joan Miró. Une œuvre qui aurait d’ailleurs pu ne jamais exister : l’artiste a d’abord décliné la commande, ne maîtrisant pas le métier de lissier. Finalement aidé par Josep Royo, il laisse s’exprimer sa fantaisie dans la laine et le chanvre sur une surface de 6 mètres par 11, jouant sur la longueur des fils et les débordements. Dernière des sept commandes publiques, la grande sculpture murale Sky Gate, New York (1978) de Louise Nevelson disparaît aussi sous les décombres.

Le World Trade Center abritait également d’impressionnantes collections privées. Celle de Citigroup comprenait 1 100 peintures et estampes d’artistes essentiellement américains du XXe siècle, et la centaine d’œuvres en dépôt de la Bank of America est aussi détruite. La firme de Fred Alger conservait parmi ses photographies des clichés de Cindy Sherman et d’Hiroshi Sugimoto. La perte la plus déplorable reste toutefois celle du groupe Cantor Fitzgerald : celui-ci gardait dans les Twin Towers l’une des plus grandes collections privées de sculptures et de dessins d’Auguste Rodin, avec environ 300 pièces. Interrogé sur l’étendue des dégâts, son président Howard W. Lutnick a refusé de répondre, par décence : le 11 septembre, ce sont surtout 658 des 960 employés de la firme qui ont perdu la vie, parmi lesquels son frère.

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Le torse d’une statue en bronze d’Auguste Rodin à côté d’un moteur d’avion et d’autres débris récupérés sur le site du World Trade Center, et entreposés à la décharge de Fresh Kills à New York

Le torse d’une statue en bronze d’Auguste Rodin à côté d’un moteur d’avion et d’autres débris récupérés sur le site du World Trade Center, et entreposés à la décharge de Fresh Kills à New York, 14 janvier 2002

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© AFP / Photo Don Emmert

Certaines des œuvres ont pu être extraites des décombres et parfois sauvées. C’est le cas de plusieurs bronzes de Rodin : un buste des Bourgeois de Calais, deux des Trois Ombres et une petite figure du Penseur qui fut un temps le logo de la Cantor Fitzgerald. Brisées et noircies, les œuvres ont pu être restaurées, ce qu’a ainsi commenté John L. Tancock, ancien conservateur au musée Rodin de Philadelphie : « C’est d’un symbolisme extraordinaire, n’est-ce pas ? Elles ont survécu dans cet état et cette histoire peut être vue comme une inspiration. »

Rendre sa dignité à la Plaza pour qu’elle devienne un mémorial

Michael Richards, Tar Baby vs. St. Sebastian

Michael Richards, Tar Baby vs. St. Sebastian, 1999

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Sculpture de résine sur acier • 203.2 × 76.2 × 48.26 cm • Coll. Museum of Contemporary Art, North Miami / © The Michael Richards Estate / Photo Oriol Tarridas

Quelle autre arme que le symbole en effet pour ne pas sombrer dans le chagrin ? À peine le gros des gravats déblayés, les New-Yorkais se sont affairés à rendre sa dignité à la Plaza, pour qu’elle devienne un mémorial mais aussi, comme à l’origine, un lieu d’activité : à Ground Zero, les habitants préfèrent le nom de World Trade Center site. Finalement sauvée, The Sphere incarne cette résilience des Américains, installée comme monument commémoratif dans le Liberty Park en 2017, au sein de ce complexe. Dès le mois d’octobre 2001, un hommage avait été rendu par ses amis de résidence à Michael Richards. Étrange prémonition : Tar Baby vs St Sebastian (1999), la sculpture qui l’a consacré, est un hommage aux aviateurs afro-américains dans la Seconde Guerre mondiale faite d’un moulage du corps de l’artiste, transpercé non pas de flèches mais de maquettes d’avions de chasse…

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