Ép. 1 Les yōkai, ces créatures aussi étranges qu’effrayantes venues du Japon


Crocs acérés, griffes poilues, tignasses hérissées, longues chevelures noires, têtes en lévitation… L’art japonais grouille d’esprits ensorcelants, de fantômes sinistres, de démons furieux et d’autres créatures surnaturelles étranges et effrayantes regroupées sous le nom de yōkai, ou mononoke. Issus du folklore nippon, ces êtres sont parfois ambivalents : si la plupart sont malfaisants et font régner la terreur, certains d’entre eux savent se montrer à l’occasion cléments et compatissants, tandis que d’autres sont simplement espiègles, ou peuvent même être sources de chance ou de prospérité.

Rouleau illustré de la Parade nocturne des cent démons (Hyakki Yagyō emaki)

Rouleau illustré de la Parade nocturne des cent démons (Hyakki Yagyō emaki)

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folios 90–91 • © Nobuhiro Sakamoto et Kyosuke Sasaki

L’écho dans la montagne, le vent s’engouffrant dans les vieilles maisons de bois isolées, les ombres se profilant sur les cloisons de papier coulissantes… L’ancien Japon est propice à l’émergence de ces légendes et croyances horrifiques, qui finissent par ramper jusque dans les villes. Durant l’époque d’Edo (1603–1867), de nombreux artistes se mettent à créer des yōkai, inspirés du folklore ou inventés. Recueils d’histoires, feuilles de papier, kakemonos, paravents, boîtes de laque, kimonos et gardes de katanas se couvrent ainsi d’apparitions à faire dresser les cheveux sur la tête ! Sur les enveloppes en papier contenant de l’argent de poche donné aux enfants à l’occasion du Nouvel an (les pochi bukuro), se déploient une silhouette de fantôme inquiétante projetée par une bougie maléfique, ou encore un rokurokubi – un humain devenu démon, dont le cou extensible à l’infini s’allonge la nuit pour terroriser les humains, et parfois même les dévorer…

Oishi Hyōroku

© Nobuhiro Sakamoto et Kyosuke Sasaki

Ces yōkai ont vite fait d’ensorceler le collectionneur japonais Koichi Yumoto (né en 1950), ancien conservateur du Kawasaki City Museum, qui a rassemblé plus de 5 000 œuvres et objets les représentant depuis la période d’Edo jusqu’à nos jours, soit la plus grande collection consacrée à ces créatures. Estampes, peintures, rouleaux illustrés, cartes, affiches… Dans le livre Yōkai. Créatures et esprits surnaturels du Japon (2022) publié aux éditions de La Martinière, ce passionné présente, au fil de 520 pages, un large éventail commenté de ces images datant pour la plupart des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, conservées depuis 2019 dans un musée entièrement dédié à ce thème : le Miyoshi Mononoke Museum d’Hiroshima.

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La diversité des yōkai donne le tournis. Certains prennent la forme d’animaux étranges tels que des poissons maléfiques, des crapauds géants, de curieux félins griffus aux yeux globuleux, ou des créatures hybrides à la Jérôme Bosch, dotées d’ailes d’insecte ou d’une carapace de tortue. D’autres sont des sirènes bénéfiques ou mauvaises (ningyo), des gobelins démoniaques doués en arts martiaux (tengu), ou des ogres à la peau rouge, affublés de cornes et de crocs (oni).

Rouleau illustré de la Parade nocturne des cent démons (Hyakki Yagyō emaki)

Rouleau illustré de la Parade nocturne des cent démons (Hyakki Yagyō emaki)

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folios 68–69 • © Nobuhiro Sakamoto et Kyosuke Sasaki

D’autres encore sont des humains, tels que le ohaguro-bettari, femme en kimono de mariée qui erre près des temples et attire les jeunes hommes célibataires pour, soudain, les faire fuir en révélant son visage sans yeux, fendu d’une large bouche cruelle aux dents noires – peut-être le fantôme tourmenté d’une femme condamnée, par sa laideur, à ne pas trouver de mari… Non moins terrifiants, le futakuchi-onna est une femme avec une gueule vorace à l’arrière de la tête, et le dorotabō, un revenant au corps de boue, qui s’extirpe de la terre pour hanter le champ qu’il cultivait jadis…

Des objets délaissés venus se venger

Plus surprenants encore sont les tsukumogami : des objets devenus esprits, tels qu’une lanterne farceuse, une bouilloire fumante attaquant son utilisateur ou les cloisons en papier coulissantes des maisons, qui se mettent à grouiller d’yeux indiscrets… Ces yōkai sont liés à une vieille croyance japonaise selon laquelle toute chose, même une plante ou un objet, possède un esprit qu’il faut respecter et ne pas contrarier. Sans quoi une marmite ou une spatule à riz, se sentant délaissée ou insultée, peut se faire pousser des yeux et des jambes afin de poursuivre et terroriser son propriétaire !

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Cartes votives (nōsatsu) de la Parade nocturne des cent démons

Cartes votives (nōsatsu) de la Parade nocturne des cent démons

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© Nobuhiro Sakamoto et Kyosuke Sasaki

Un chat menaçant qui hante le foyer et projette des boules de feu, jusqu’à parfois dévorer son maître pour prendre sa place.

Parmi ces multiples créatures étranges figure aussi le bakeneko, un chat menaçant qui hante le foyer et projette des boules de feu, jusqu’à parfois dévorer son maître pour prendre sa place. Son pendant positif étant le maneki-neko, un petit félin apportant chance et bonheur. Dans la maison rôde aussi l’abura-akago, un enfant-fantôme qui lèche l’huile des lampes dans l’obscurité, le kamikiri, qui coupe les cheveux des femmes quand elles vont aux toilettes la nuit, et l’akaname, gobelin visqueux mais inoffensif, qui sort la nuit pour manger la crasse laissée dans la baignoire…

Sur un rouleau illustré de fantômes datant de l’ère Meiji, peint par Okajima Yōjō, une femme au regard sinistre dévore un bébé. Ce yōkai est un katawaguruma : une femme démoniaque voyageant dans un chariot enflammé, qui inflige de terribles malédictions à quiconque pose les yeux sur elle. Selon une légende du XVIIe siècle, l’une de ces créatures aurait enlevé l’enfant d’une femme qui avait osé la regarder à travers une fente dans sa porte. Avant de finalement se laisser attendrir et rendre l’enfant sain et sauf à sa mère.

Rouleau illustré de bêtes à foison (Genjū zukushi emaki )

Rouleau illustré de bêtes à foison (Genjū zukushi emaki )

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folios 238–239 • © Nobuhiro Sakamoto et Kyosuke Sasaki

Bien que souvent terrifiants, les récits et représentations de yōkai s’aventurent régulièrement du côté du grotesque et de l’humour. Comme ce rouleau illustré racontant l’histoire d’un certain Shinno qui, avec trois compagnons, libère les habitants d’une île de la présence d’ogres malfaisants… en bombardant ces derniers de flatulences pour les faire fuir avec succès !

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Les yōkai ne se sont pas éteints : ces œuvres anciennes aux traits audacieux et à l’imagination débordante continuent d’inspirer une multitude de mangas, de dessins animés et de jeux vidéo. Qu’il s’agisse de Princesse Mononoké (1997) et du Voyage de Chihiro (2001), chefs-d’œuvre d’animation réalisés par Hayao Miyazaki, ou de certains Pokémons tels que Feunard (Kyukon), directement inspiré de kyūbi no kitsune, un renard à neuf queues de la mythologie nippone. Ou Soporifik (Suripu), inspiré du baku qu’a représenté Hokusai : une chimère proche de l’éléphant ou du tapir, qui dévore les rêves et les cauchemars avec sa trompe…

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Yōkai – Créatures et esprits surnaturels du Japon

De : Koichi Yumoto



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