Disparition de Pierre Rabhi : la gauche embarrassée


De nombreuses personnalités de gauche ont fait l’éloge de l’œuvre de l’écrivain agroécologiste. Le rappel de ses positions conservatrices sur des sujets de société a cependant gêné.

La disparition de Pierre Rabhi, écrivain, philosophe, et grande figure de l’agroécologie, samedi 4 décembre, a suscité un cortège d’hommages, notamment chez les élus écologistes et à gauche, sur les réseaux sociaux. Mais ces réactions élogieuses ont agacé ses détracteurs, rappelant notamment ses positions conservatrices sur d’autres sujets sociétaux (mariage homosexuel, égalité homme femme). D’autres encore lui ont reproché ses liens avec l’anthroposophie, courant ésotérique accusé par ses détracteurs de «dérives sectaires». Des rappels qui ont suscité un certain embarras à gauche.

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«L’un des grands précurseurs de l’agroécologie s’éteint. Toutes mes condoléances à sa famille et à ses proches», a ainsi réagi le candidat écologiste à la présidentielle 2022 Yannick Jadot, peu après l’annonce du décès de l’écrivain.

«Hommage à Pierre Rabhi. Aujourd’hui faire sa part veut dire pratiquer agroécologie et aussi inventer un nouvel art de vivre (..)», commente de son côté l’économiste jésuite Gaël Giraud, très écouté à gauche de l’échiquier politique. «En perdant Pierre Rabhi, la vie perd un de ses plus merveilleux avocats», déplore de son côté Jacques Attali, ancien conseiller de Mitterrand, soutien de François Hollande puis d’Emmanuel Macron.

La candidate socialiste à la présidentielle 2022 Anne Hidalgo, quant à elle, retweete un message de l’environnementaliste Serge Orru, vantant un «être exceptionnel qui nous a tant apporté».

«Sobre et heureux. Sobres donc heureux. Heureux parce que sobres. Hommage à Pierre Rabhi», tweetait à son tour, ce dimanche matin, le socialiste Benoît Hamon.

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Puis vient un tweet, plus surprenant, de l’écoféministe Sandrine Rousseau ! «Précurseur incroyable de l’écologie, la sobriété heureuse et le colibri. Conservateur sur les questions sociétales, l’homosexualité et les femmes. Au revoir Pierre Rabhi et merci pour l’écologie.»

«Homophobe» et «misogyne»

D’emblée, le message de Sandrine Rousseau ne manque pas de faire réagir. Se voulant nuancé, mais hésitant entre l’hommage et la critique timide, le tweet ne passe pas à gauche.

«Homophobe, misogyne, mais vu qu’il est écolo, ça passe ?», commente ainsi Vincent Lautard, membre de l’équipe nationale du Printemps républicain, mouvement lancé, entre autres, par des proches de Manuel Valls membres de la gauche républicaine laïciste.

En effet, d’autres internautes, sur le réseau social, s’indignent de cet éloge unanime, et accusent le philosophe d’avoir tenu des propos «misogynes» ou «homophobes». «Quand c’est la famille chez les écolos on ne dit pas ‘misogyne’, ‘homophobe’, «’d’extrême-droite’ ou ‘réac’, on dit ‘conservateur sur les questions sociétales, l’homosexualité et les femmes’», raille un autre.

Malaise chez Benoît Hamon et Sandrine Rousseau

Pour étayer leurs propos, ces internautes citent notamment une enquête du Monde diplomatique datée de 2018. «Homophobe» ? Dans cette enquête, cette citation issue de son livre d’entretien Pierre Rabhi, semeur d’espoir (Acte Sud, 2013) le prouverait : «Je considère comme dangereuse pour l’avenir de l’humanité la validation de la famille ‘homosexuelle’, alors que par définition cette relation est inféconde». «Misogyne» ? Une autre citation, issue cette fois d’un entretien au magazine Kaizen – fondé par Pierre Rabhi -, le démontrerait : «Il ne faudrait pas exalter l’égalité. Je plaide plutôt pour une complémentarité : que la femme soit la femme, que l’homme soit l’homme et que l’amour les réunisse».

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Deux heures après son précédent tweet, Benoît Hamon s’excuse auprès de ses abonnés, dans un autre message : «En réaction aux nombreux commentaires. J’en étais resté aux Colibris (mouvement de transition écologique et sociétal lancé par Pierre Rabhi et Cyril Dion, NDLR.) Au temps pour moi, j’ignorais les propos homophobes et misogynes.»

Invitée de la matinale de France Inter, Sandrine Rousseau tente à son tour, non sans peine, d’étayer son tweet : «(…) après, sur les questions sociétales par contre, il était très conservateur. Son héritage est un peu entaché par cela alors que vraiment sur la sobriété heureuse, c’est extraordinaire ce qu’il a écrit.»

Converti au catholicisme, avant de s’en éloigner

Pour comprendre ce «malaise» chez les écologistes d’EELV et plus globalement la gauche, il faut savoir que Rabah Rabhi, né dans une famille musulmane, s’est converti dans ses jeunes années au christianisme – il choisit son nom de baptême, Pierre, à 17 ans – avant de s’en éloigner plus tard.

Dès lors, la sobriété heureuse prônée par Pierre Rabhi, était autant source d’inspiration à gauche que dans les milieux catholiques conservateurs attachés à «l’écologie intégrale», défendue par le pape François dans son encyclique Laudato Si. Une écologie prônant à la fois la préservation de la planète, la défense des plus pauvres, et une certaine vision de la nature et du vivant… conduisant à des positions bioéthiques conservatrices (IVG, PMA, etc.).

Des liens supposés avec l’antroposophie

Pourtant, d’autres internautes, catholiques, ont également pris la parole, sur les réseaux sociaux, pour le critiquer. Mais cette fois, il s’agit du lien présumé de Pierre Rabhi avec l’anthroposophie, un mouvement ésotérique fondé dans les années 1910 par l’Autrichien Rudolf Steiner, et régulièrement accusé, aujourd’hui, de dérives sectaires.

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En témoigne ce tweet du journaliste chrétien – plutôt ancré à gauche – Timothée de Rauglaudre, auteur de l’ouvrage Le nouveau Péril sectaire (Robert Laffont, 2021) : «Pierre Rabhi est mort. Je pense à sa famille et à ses proches. Je prie aussi pour que sa pensée soit enterrée avec lui. Cette pensée qui a fait de l’écologie une distraction individualiste et ésotérique pour bourgeois en quête de supplément d’âme.»

À son tour, Natalia Trouiller, ancienne directrice de communication du diocèse de Lyon, ne mâche pas ses mots sur Facebook : «Je ne pleurerai pas cet anthroposophe qui, à l’école de son maître l’occultiste Rudolf Steiner, a passé sa vie à mentir sur ce qu’il était (“non non je ne suis pas anthroposophe”) tout en empoisonnant tous les courants alternatifs de droite et de gauche avec les concepts de son maître à penser (biodynamie, tripartition sociale, écoles Steiner, etc.)».

Message de Natalia Trouiller sur Facebook. Capture d’écran.

Ces accusations, qui gagneraient à être davantage étayées, montrent en tous cas que la personnalité de Pierre Rabhi est décidément plus complexe et clivante que ne le pensaient bon nombre de ses admirateurs.

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