Des robes, des fleurs et de la couleur : une expo s’attaque aux idées reçues sur le vestiaire masculin


1. Des formes enfin révélées

Vue d’exposition « Fashioning Masculinities » ; Manteau et pantalon en laine et chapeau haut de forme en soie, États-Unis, 1845-1853

Vue d’exposition « Fashioning Masculinities » ; Manteau et pantalon en laine et chapeau haut de forme en soie, États-Unis, 1845–1853

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© Victoria and Albert Museum, London

Rêver du six-pack ne date pas d’hier ! Si le corps des hommes a longtemps été caché par des vêtements amples aux matières lourdes, le XIXe siècle a changé la donne. Alors que toute la bourgeoisie se presse en Italie pour le Grand Tour — voyage de plusieurs semaines à travers le pays pour en découvrir les arts et l’histoire —, celle-ci découvre les muscles saillants et les membres parfaitement proportionnés des statues antiques. Le divin Apollon, l’immense Farnèse, le puissant Hercule… Leurs abdos, fessiers et cuisses tailles XXL se sont, au gré des reproductions et dessins, très vite diffusés en Europe, au point de devenir un idéal ! Les hommes ont alors peu à peu retroussé leurs pantalons, serré leurs collants, remonté leur chemise : bref, le trois-pièces est devenu archi moulant, du cou jusqu’aux chevilles. Une fascination pour la musculature saillante qu’on retrouve également dans les vêtements contemporains, et notamment dans les fameux trompe-l’œil de Jean-Paul Gaultier, qui pourraient faire rougir Apollon.

2. Le rose, couleur « virile »

C’est une couleur qui met en valeur la matière, mais qui symbolise aussi la richesse : le rose. Sa connotation féminine n’est apparue qu’à partir de la première moitié du XXe siècle. Avant l’industrialisation des teintures, peu de personnes pouvaient en effet se l’offrir. Importés d’Asie du Sud ou d’Amérique, les tissus colorés étaient portés par les plus fortunés. Nuance du rouge, le rose partageait alors sa symbolique de puissance et était ainsi arboré fièrement par de nombreux courtisans. Plus éclatante était la couleur, plus haut était le rang ! En témoigne le portrait du comte de Bellemont, Charles Coote (1738–1800) arborant non seulement un imposant chapeau en plumes d’autruches mais aussi une cape entièrement rose. À l’origine, c’est un rouge vif qu’avait employé Joshua Reynolds mais avec le temps, la peinture a perdu de sa fraîcheur et s’est transformée en un petit plaidoyer pour le rose. Et une inspiration pour de nombreux designers, à commencer par le jeune Anglais Harris Reed pour sa collection « Romanticism  », dont l’étoffe soyeuse n’est pas sans rappeler l’élégance de Sir Coote !

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3. Des brassées de fleurs pour tous

Des collants blancs, un veston richement orné, et une fraise très volumineuse : voici tous les attributs d’un véritable gentleman ! Dans l’une des miniatures les plus célèbres d’Angleterre, Nicholas Hilliard, peintre du XVIe siècle, représente un Jeune homme parmi les roses, appuyé fièrement contre un arbre. Sommet du raffinement : les fleurs qui l’entourent s’apparentent à de fines broderies sur sa cape noire. Eh oui ! Si ce motif nous semble réservé aux toilettes féminines, il a pourtant rencontré un grand succès au cours des siècles sur les vêtements masculins. Symbole politique en Angleterre en soutien à la reine Élisabeth Ire (en référence à la rose des Tudors), il a par la suite été synonyme d’élégance, recouvrant les vestons des courtisans. Et ce particulièrement au XVIIIe siècle, durant lequel les conquêtes coloniales importèrent avec elles des connaissances botaniques nouvelles et, donc, des inspirations toutes fraîches pour les broderies ! Aujourd’hui, après des siècles de noir, nombreux designers remettent au goût du jour les motifs floraux : à commencer par Alessandro Michele pour Gucci, qui en use sous toutes les formes et toutes les couleurs. L’un de ses costumes créés en 2017 s’inspire directement des roses grimpantes qui recouvrent la fameuse miniature d’Hilliard. How fancy !

4. Même pas cape !

Attribut de pouvoir, la cape apparaît souvent dans les portraits des siècles passés : brodée, longue ou courte, ample ou droite, elle confère de la prestance à celui ou celle qui la porte. Et plus son rang est élevé, plus la cape est grandiose : à l’image du prince Alessandro Farnese, dont le portrait exécuté par la célèbre portraitiste Sofonisba Anguissola, vers 1560, semble se préoccuper davantage du vêtement que du modèle. Les broderies de fils d’or et d’argent, détaillées à la boucle près, nous guident de perle en perle jusqu’à la doublure fourrée… Une profusion de détails qui rappelle justement le rang du personnage. Au XVIe siècle, de nombreuses lois en Europe restreignent en effet l’usage de certaines broderies à l’aristocratie ; il en va de même pour les tissus. Ainsi le vêtement devenait-il codifié au point qu’une cape seule suffisait à témoigner de son titre ! Si aujourd’hui cette pièce de costume a disparu du vestiaire commun, elle fait petit à petit son retour sur les tapis rouges. Et comment ne pas penser à l’ensemble arboré par Billy Porter à la cérémonie des Golden Globes en 2019, aujourd’hui fièrement exposé au Victoria & Albert Museum : une pluie de fleurs brodées s’étendant sur son dos en satin gris, tandis que sa doublure éblouit ses voisins de son rose flashy.

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5. Quand ils en pincent pour les costumes

John Singer Sargent, « Portrait de Philip Sassoon », 1923 ; vue d’exposition « Fashioning Masculinities »

John Singer Sargent, « Portrait de Philip Sassoon », 1923 ; vue d’exposition « Fashioning Masculinities »

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© Tate Images ; © Victoria and Albert Museum, London

Comment explorer la garde-robe masculine sans parler du costume ? De deux ou trois pièces, en satin ou à pinces, il a fait le tour du monde et des époques. Aujourd’hui, on retient surtout le style des redingotes noires, très en vogue au milieu du XIXe siècle et dont la coupe droite cintrée a remplacé la folie des broderies des siècles précédents. Chapeau, canne et manteau : voilà la nouvelle tendance, de l’Angleterre jusqu’à la France — le roi Louis-Philippe en était d’ailleurs friand, arborant son plus bel ensemble pour ses promenades en famille au jardin des Tuileries, ce qui lui valut le surnom de « roi bourgeois ». La mode est alors à la simplicité : tous les fastes aristocratiques du passé doivent se faire oublier. Puis au fil des décennies, le chapeau disparait, et avec lui le pantalon taille haute ; le costume se simplifie en même temps qu’il se codifie — et se ternit. Une seule règle, encore aujourd’hui bien suivie : du noir, du noir, du noir… Mais ce n’est pas sans espoir ! Au cours des dernières décennies, les créateurs tentent de revisiter cet uniforme trop classique : à paillettes, à manches courtes… et même en version robe !

6. Icônes de mode et de genre

Men’s Tailoring Campaign pour hommes Gucci Pre-Fall 2019 ; Jacob Huysmans, Frances Stewart, later Duchess of Richmond, 1664 ; Robe et veste de tailleur Alessandro Michele pour Gucci, portées par Harry Styles, lors de l’installation de « Fashioning Masculinities » au V&A

Men’s Tailoring Campaign pour hommes Gucci Pre-Fall 2019 ; Jacob Huysmans, Frances Stewart, later Duchess of Richmond, 1664 ; Robe et veste de tailleur Alessandro Michele pour Gucci, portées par Harry Styles, lors de l’installation de « Fashioning Masculinities » au V&A

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Courtesy of Gucci ; © Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2022 ; Photo Jamie Stoker

Non seulement les modes évoluent, mais les étiquettes de genre aussi. Pour autant, ces emprunts mutuels entre vestiaires masculin et féminin ne sont pas complètement nouveaux ! C’est ce que rappelle l’exposition du Victoria & Albert Museum avec le portrait de Frances Stewart peint par Jacob Huysmans en 1664, accroché non loin de celui du prince Farnèse (voir plus haut). À moins de s’attarder sur son cartel, peu de visiteurs ont probablement remarqué qu’il s’agit là d’une femme ! Et à raison : la future duchesse de Richmond, favorite du roi Charles II, se joue ici des codes. Représentée avec une perruque masculine et une épée, son portrait, qui s’arrête à mi-jambe, empêche de déceler ce qu’elle porte : un manteau ? Une robe ? Le doute continue de planer, traduisant une frontière poreuse entre les deux vestiaires… Que de nombreux designers tentent aujourd’hui de franchir, aidés par des icônes de style comme le chanteur anglais Harry Styles, qui n’hésite pas à porter jupes, robes, et costumes à fleurs multicolores, notamment en couverture du célèbre Vogue américain de décembre 2020 où il arbore une robe Gucci à volants bleu ciel, spécialement conçue pour l’occasion, devenant le premier homme à faire la Une en solo du magazine.

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Fashioning Masculinities: The Art of Menswear

Du 19 mars 2022 au 6 novembre 2022

www.vam.ac.uk





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