Dans le dressing des fashion victimes du Siècle d’or


Des habits noir de jais sur lesquels tranchent de grandes fraises blanches : c’est en général la première vision qu’évoque la mode aux Pays-Bas du XVIIe siècle. Mais ces costumes de bourgeois protestants qui se retrouvent sur tant de portraits peints ne sont que la partie émergée de l’iceberg… Désireux de mettre en valeur sa collection d’œuvres des écoles du Nord, le musée de Tessé s’est associé aux musées des Beaux-Arts d’Angers et de Tours pour monter cette exposition étoffée de prêts prestigieux venant notamment du Louvre, du Rijksmuseum d’Amsterdam et du musée de Lakenhal, situé dans les bâtiments historiques des anciennes halles aux draps de Leyde.

Dès la première salle, un duo de grands portraits en pied – deux belles copies d’époque, l’une d’après Frans II Pourbus, l’autre d’après Otto van Veen – éblouit. L’archiduchesse Isabelle d’Autriche (souveraine puis gouvernante des Pays-Bas espagnols de 1598 à 1633) et l’archiduc Albert d’Autriche (gouverneur puis souverain de 1595 à 1621) posent en tenues de soie brodée, fourmillantes de détails minutieux. Chaque fil d’or, chaque perle et chaque millimètre des dentelles qui ornent leurs cols et manchettes (si aériens qu’ils semblent sortir d’un conte de fées) est reproduit au pinceau, et la rutilance des étoffes rendue d’une main experte…

À gauche : copie d’après Otto van Veen ? ; à droite : copie d’après Frans (II) Pourbus, Portrait de l’archiduc Albert d’Autriche, gouverneur (1595-1598), puis souverain des Pays-Bas espagnols (1598-1621) ; Portrait de l’archiduchesse Isabelle d’Autriche, souveraine (1598-1621), puis gouvernante des Pays-Bas espagnols (1621-1633)

À gauche : copie d’après Otto van Veen ? ; à droite : copie d’après Frans (II) Pourbus, Portrait de l’archiduc Albert d’Autriche, gouverneur (1595–1598), puis souverain des Pays-Bas espagnols (1598–1621) ; Portrait de l’archiduchesse Isabelle d’Autriche, souveraine (1598–1621), puis gouvernante des Pays-Bas espagnols (1621–1633), vers 1596–1597 / vers 1603

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Huile sur toile • 194,7 × 112 cm / 201,5 × 114,3 cm • Coll. Musée de Tessé, Le Mans • © Musées du Mans / Photo D. Couineau

Au XVIIe siècle, les Pays-Bas sont une puissance commerciale exceptionnelle, et c’est avec leur industrie textile qu’ils se démarquent. Dans le cadre du commerce triangulaire (impliquant hélas la traite d’esclaves), ils rapportent des biens exotiques des Indes et exportent en retour des textiles appréciés dans le monde entier pour leur grande qualité : draps de laine de Leyde, dentelles luxueuses de Flandres, et toiles de lin finement blanchies à Haarlem et dans la province de Frise. Un commerce florissant assorti de stratégies marketing déjà bien développées, dont témoignent factures, livrets d’échantillons et certificats de qualité.

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École hollandaise, Portrait d’un homme

École hollandaise, Portrait d’un homme, vers 1670

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Huile sur toile • 116 × 102 cm • Coll. Musée de Tessé, Le Mans • © Musées du Mans / Photo D. Couineau

Dans la peinture néerlandaise, deux types de vêtements se côtoient : ceux qui représentant réellement la mode locale de l’époque, et ceux, imaginaires, de la peinture allégorique, religieuse ou historiciste. Comme ces somptueux brocards et damas de soie à filés métalliques, portés par des sibylles dans un cycle de onze tableaux peints par un collaborateur de Rubens. Les scènes de genre, elles, nous renseignent sur l’habillement réel du peuple. Faute de moyens, artisans et paysans se contentent de tenues modestes, sans fioritures, souvent recyclées chez les fripiers et usées jusqu’à la corde. Friands de pittoresque, les peintres les représentent dans ces vêtements élimés, un peu débraillés. Dans les peintures de Peeter Snayers, L’Eté et L’Hiver, qui rappellent les compositions des Brueghel, grouillant de petites scènes saisonnières, on constate cependant que ces tenues paysannes étaient très colorées, mêlant allègrement brun, rouge, bleu et vert !

Attribué à Peter Snayers, Cycle des « Quatre Saisons » : L’été

Attribué à Peter Snayers, Cycle des « Quatre Saisons » : L’été, vers 1613

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Huile sur toile • 120 × 150 cm • Coll. Musée des Beaux-Arts de Tours • © Musée des Beaux-Arts de Tours

Chez les bourgeois, les costumes sont plus contraignants et composés de nombreuses pièces : chemise, robe de dessus à manches amovibles, corsage baleiné, jupe portée sur une armature (le vertugadin), fraise, coiffe et manchettes pour la femme; chemise, pourpoint, hauts-de-chausses, bas, manteau, chaussures, fraise, manchettes et chapeau pour l’homme. Sous la fraise, portée autour du cou afin de mettre en valeur le visage et lui donner un port altier, se cache une structure métallique qu’on imagine peu confortable…

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L’habit très noir et le linge très blanc sont signes de richesse. Car il est difficile, et donc coûteux, d’obtenir une teinture d’un noir profond – le meilleur étant produit à Leyde de façon très réglementée. Pour avoir une chemise, un col, des manchettes et une fraise immaculés, il faut les laver au moins une fois par jour. Or la fraise (très en vogue durant la période engoncée de la mode espagnole, de 1600 à 1625) peut nécessiter pour un modèle simple pas moins de 15 mètres de tissu, et doit à chaque lavage être remise en forme et godronnée à grands frais avec un fer chaud ! Œuvres de Néerlandaises aux doigts de fée vendues à prix d’or jusqu’au Nouveau-Monde, les dentelles sont quant à elles si fines et merveilleuses qu’elles deviennent presque le sujet principal de certains portraits, comme celui de Magdalena van Erp par l’atelier de Cornelis van der Voort.

Pieter van Slingelandt, Portrait de Frans Gerritsz. Meerman (1630-1672), greffier de la ville de Leyde, et sa famille

Pieter van Slingelandt, Portrait de Frans Gerritsz. Meerman (1630–1672), greffier de la ville de Leyde, et sa famille, commencé en 1664

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Huile sur bois • 53 × 44 cm • Coll. Musée du Louvre, Paris / © RMN-Grand Palais / Photo René-Gabriel Ojeda

« De nombreux tableaux représentent les bourgeois en habit noir et blanc, car ces tenues étaient à la fois onéreuses, donc gages de richesse, et sobres, donc de bon ton pour des protestants : un bon choix pour se mettre en valeur sur un portrait. Mais en réalité, ces personnes portaient beaucoup de couleurs au quotidien ! » révèlent les commissaires. Pour preuve, un grand tableau prêté par le Louvre, Portrait de la famille Beresteyn de Pieter Soutman (vers 1630–1631). Bleu, rose, abricot, rouge, argenté… Si le mari reste en noir, femmes et enfants y portent des étoffes brillantes aux multiples tons, ornées de broderies d’or. Une superbe paire de gants de mariée (1637) en cuir blanc décorés de motifs floraux, de broderies de fils de soie, de fils dorés, de perles et de rubans témoigne également de ce goût pour les couleurs et le foisonnement de détails luxueux. Un certain nombre de portraits d’hommes montrent même que les messieurs portaient des tenues très coquettes agrémentées d’une foule de rubans, broderies d’or et couleurs, avec une prédilection pour le rose associé au doré et à l’argenté !

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Malheureusement, très peu de ces costumes néerlandais ont survécu. « Ces habits finissaient souvent par être recyclés : on en récupérait les étoffes et les fils d’or pour réaliser d’autres vêtements » explique Carole Hirardot, responsable des collections XVe-XVIIIe siècles des musées du Mans et co-commissaire générale de l’exposition. Sans compter l’extrême fragilité des pièces, qui « exigent d’être présentées sous vitrine et ne supportent parfois même pas d’être enfilées sur des mannequins » précise la commissaire scientifique de l’exposition Alexandra Bosc, qui a travaillé dix ans au Palais Galliera. Faute de costumes entiers, ce sont donc de beaux accessoires d’époque et deux reconstitutions de tenues qui dialoguent avec les peintures, dessins et gravures. Précieux témoins des trésors textiles disparus…

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L’étoffe des Flamands, mode et peinture au XVIIe siècle

Du 22 octobre 2022 au 29 janvier 2023

www.sarthetourisme.com



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