Claude Monet à Argenteuil : un tournant fatidique pour l’impressionnisme


On l’appelle la « maison rose aux volets verts », comme celle de Giverny où il vivra presque dix ans plus tard. C’est une charmante demeure bourgeoise au style « chalet suisse » très en vogue au XIXe siècle. À l’intérieur, aucune œuvre de l’artiste, mais des tableaux rétroéclairés qui permettent au visiteur de jouer les curieux : ils se découvrent en ouvrant les portes d’un placard ou d’une fenêtre, en faisant glisser des tiroirs où se cachent aussi des lettres manuscrites numérisées… L’intérêt ici, se porte bien sur la maison, restaurée et remodelée comme au temps de Claude Monet (1840–1926) : ses couloirs étroits et ses pièces en enfilade sont distribués sur deux étages surmontés par des combles. Une immersion dans l’intimité de l’artiste grâce surtout, à son merveilleux jardin d’hiver donnant sur un parc fleuri, là même où le maître a portraituré son fils Jean et sa femme Camille assise sur l’herbe, un siècle et demi plus tôt.

Claude Monet, La Seine à Argenteuil

Claude Monet, La Seine à Argenteuil, 1877

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huile sur toile • © Artvee

Claude Monet déménage à Argenteuil en 1871 – « Maison Aubry, près de l’hospice, Porte Saint-Denis à Argenteuil », écrit-il à Pissarro dans une lettre du 21 décembre, à quelques pas de la maison aux volets verts – tout juste rentré de quelques mois d’exil à Londres durant la guerre franco-prussienne. Fuir l’agitation parisienne, peindre le calme de la campagne et les berges de Seine… Tel est le désir du jeune père de famille à l’aube de la trentaine. Rien de surprenant en cette période de « colonie parisienne » : avec la construction d’une gare à Argenteuil, reliant la ville en seulement vingt minutes à la capitale, nombreux sont les Parisiens qui s’y font construire leur résidence de week-end… La destination est très prisée, en plein développement engendré par la révolution industrielle.

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Maison de Claude Monet à Argenteuil

Maison de Claude Monet à Argenteuil

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« Nous voyons souvent Monet, chez lequel nous avons pendu la crémaillère ces jours-ci : il est fort bien installé et paraît avoir une forte envie de se faire une position », constate son ami peintre Eugène Boudin, en janvier 1872. La preuve : il a vendu trente-huit toiles cette année-là, pour une somme conséquente de 12 100 francs. Son inspiration ne tarit pas, elle déborde. Visions champêtres de collines et de vignes, berges de Seine, barques et voiliers, lavoir, jardins fleuris, paysages urbains… L’artiste multiplie les sujets, développe sa touche impressionniste, passionné par l’atmosphère bucolique et les reflets de la lumière sur le fleuve. Il acquiert même un bateau-atelier comme celui de l’artiste Charles-François Daubigny (1817–1878), pour mieux peindre directement sur le motif, au fil de l’eau…

17 janvier 1874 : la Société anonyme coopérative des artistes-peintres, sculpteurs, graveurs est enfin créée, et ce, grâce à l’initiative de Monet. Parmi les trente membres, on peut compter Boudin, Cézanne, Morisot, Pissarro, Renoir ou encore Sisley… Leur première exposition se déroule du 15 avril au 15 mai au 35, boulevard des Capucines à Paris, dans les locaux du photographe Nadar. Du chef de file, on y retrouve les fabuleux Coquelicots (1873) exécutés aux environs d’Argenteuil : Camille et Jean se promènent en bas de la toile, à peine suggérés, alors que le reste du paysage est parsemé de notes rouges. Mais c’est le fameux Impression, soleil levant (1872) réalisé lors d’un séjour au Havre, qui fera parler de lui : les critiques se déchaînent en inventant le terme, alors moqueur, d’« impressionnisme ». Les retombées sont douloureuses… Et si la société se dissout quelque temps après, l’amitié des peintres, elle, ne s’épuise pas : Édouard Manet et Auguste Renoir continuent de rendre visite à Monet, et brossent dans son jardin d’heureuses scènes de sa famille.

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« Nous allons être expulsés de cette gentille petite maison »

La maison de Claude Monet à Argenteuil

La maison de Claude Monet à Argenteuil

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À l’automne, le peintre déménage à nouveau pour s’installer en face de la gare, sur les conseils d’Édouard Manet : la maison rose aux volets verts est moins chère et plus grande que la première, et dispose d’un beau jardin que l’artiste s’empresse de peindre. Il parcourt la rive du Petit-Gennevilliers au printemps, puis s’intéresse aux trains plongés dans des paysages enneigés en hiver… Mais rapidement, dès 1876, les soucis financiers s’accumulent depuis que le marchand Durand-Ruel n’achète plus ses tableaux. « À moins d’une apparition subite de riches amateurs, nous allons être expulsés de cette gentille petite maison (…) où je pouvais si bien travailler », regrette-t-il, mettant fin à sept années d’intense productivité à Argenteuil. En tout, deux cent cinquante toiles y ont vu le jour…

Claude Monet, Le Pont du Chemin de fer à Argenteuil

Claude Monet, Le Pont du Chemin de fer à Argenteuil, vers 1873–1874

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huile sur toile • 55 × 72 cm • Coll. Musée d’Orsay, Paris • © Bridgeman Images

Le Pont du chemin de fer à Argenteuil (1873–1874), vendu à plus de 40 millions de dollars aux enchères de Christie’s à New York en 2008, en fait partie. Rien d’étonnant donc, à ce que cette ville grouillante du Val-d’Oise tente de capitaliser sur l’époque impressionniste, d’abord avec l’ouverture de la seconde maison habitée par Monet, estimée par le maire Georges Mothron comme « l’instrument du renouveau de l’image d’Argenteuil » mais aussi avec la reconquête des rives de la Seine jusque-là coupées par une route départementale. Son ambition : « Faire vivre les berges du fleuve à travers des événements, en y installant aussi des lieux de vie, de pratiques culturelles et sportives, sera une manière de renouer avec l’histoire d’Argenteuil quand guinguettes, régates et fêtes coloraient les tableaux des peintres impressionnistes ». De quoi attirer à nouveau les Parisiens trentenaires en quête d’air pur.

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La Maison impressionniste de Claude Monet



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