À Paris, une rue entière transformée en expo à ciel ouvert


Jeudi 1er avril, 10 heures. Il fait déjà bon, le ciel est bleu, et la rue des Beaux-Arts est surexcitée. Le maire du 6e arrondissement est là, il distribue des chocolats en papotant avec Marie-Hélène de La Forest Divonne, galeriste emblématique qui fait partie des moteurs de cette exposition à ciel ouvert. Malgré les annonces de la veille, l’atmosphère printanière et la bonne humeur dominent (peut-être parce qu’une date de réouverture se profile enfin pour la mi-mai !). Sur la plupart des murs de la rue, le créateur de mode et artiste Jean-Charles de Castelbajac a dessiné à la craie de doux visages entourés d’ailes et de fleurs, et parfois d’un jeu de mots (« Et tant d’art »).

Dessin de Jean-Charles de Castelbajac sur un mur de la rue des Beaux-Arts à Paris

Dessin de Jean-Charles de Castelbajac sur un mur de la rue des Beaux-Arts à Paris, 2021

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Craie blanche sur mur • Photo Fabrice Gousset / © Jean-Charles de Castelbajac

Ce n’est pas tout. Dans cette rue si particulière, qui mène tout droit à l’entrée de l’école des Beaux-Arts et qui n’est peuplée que de galeries ou presque, la solidarité est de mise : depuis 2015, tous les premiers jeudis du mois sont synonymes de nocturnes communes. C’est de ce « jeudi des Beaux-Arts » qu’est récemment née l’idée d’une exposition visible depuis la rue : chacune des galeries a choisi une ou plusieurs œuvres à montrer dans ses vitrines… Et la balade est étonnante. On ne passe jamais le pas de la porte, mais on s’arrête devant de grandes baies vitrées, comme des enfants devant une confiserie, pour regarder masques rituels, peintures du XXe siècle et photos contemporaines.

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Un fil rouge thématique unit ces œuvres d’une très grande variété : le « visage découvert ». Un clin d’œil bien sûr aux masques qui nous mangent le nez et la bouche depuis des mois, mais aussi, devine-t-on, un appel à regarder droit dans les yeux des œuvres superbes, à s’émouvoir de leurs matières, à s’étonner de leurs yeux exorbités ou de leurs mines ahuries. Même protégées derrière une vitre, elles restent des objets insolites, que l’on scrute et qui transforment une simple balade en possibilités de rencontre(s). « À visage découvert », ces œuvres nous rendent un peu plus vulnérables, un peu plus perméables à l’émotion, nous qui nous protégeons depuis des mois les uns des autres.

Dessin de Jean-Charles de Castelbajac sur la façade de la galerie Flak

Dessin de Jean-Charles de Castelbajac sur la façade de la galerie Flak, 2021

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craie blanche sur mur • Photo Fabrice Gousset / © Jean-Charles de Castelbajac

Mais alors, qu’y voit-on ? Un grand Francis Bacon à la Jsc Modern Art Gallery (et on se tord littéralement le cou pour apercevoir les autres œuvres exposées à l’intérieur de cette galerie de poche), une amusante photo signée Elsa & Johanna à la galerie Forest Divonne, où les deux modèles emmitouflés dans un peignoir et un plaid ont le visage dissimulé derrière un… masque de beauté. À la galerie Anthony Meyer, on voyage, grâce à un stupéfiant masque de rituel Malagan, très haut et menaçant, qui répond à ceux de la galerie Flak – où, encore une fois, on ne recule pas devant un torticolis pour apercevoir une scénographie sublime, faite de socles élancés supportant des visages originaires d’Afrique et d’Océanie.

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Robert Huot, « 4 Carols » dans la vitrine de la galerie Arnaud Lefebvre

Robert Huot, « 4 Carols » dans la vitrine de la galerie Arnaud Lefebvre, 2005

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acrylique et fusain sur toile • 4 fois 173 × 56 cm • Courtesy Galerie Arnaud Lefebvre, Paris / Photo Fabrice Gousset © Robert Huot & Carol Kinne

Notre vitrine préférée ? Sans doute celle d’Arnaud Lefebvre, dont les deux grandes fenêtres accueillent pile poil quatre grandes peintures de Robert Huot : l’Américain a repris des châssis inutilisés de sa défunte femme, l’artiste Carol Kinne, pour y peindre son corps, pris dans un mouvement tantôt rouge, vert, jaune ou bleu. On s’attarde aussi devant un beau bois sculpté de Wang Keping chez Raymond Dreyfus et, plus insolite, une œuvre de Yacine Ouelhadj, Station d’Aladin (2021), faite de tapis peints enroulés autour de la cabine du surveillant de l’entrée de l’école des Beaux-Arts. Ainsi l’art et ses acteurs démontrent une nouvelle fois leur capacité de réinvention – et c’est le cœur à « découvert » que l’on quitte la résiliente et imaginative rue des Beaux-Arts.

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À visage découvert !

Du 1 avril 2021 au 20 avril 2021
Rue des Beaux-Arts, dans le 6e arrondissement de Paris



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